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Pâques Vobiscum

Puisque c'est de saison, je m'en vais diffuser ce qui était jusqu'alors sous le boisseau, à savoir quelques notes personnelles, compilées il y a des années, à propos de d'éthique et de textes sacrés. Certes, c'est toujours curieux, j'imagine, de voir un agnostique revendiqué se pencher sur ce genre de sujets, mais je ne suis pas à un paradoxe près. Qui plus est, comme le disait en sont temps un personnage de Roger Caillois : "Il y a au monde deux sciences exactes, le mathématiques et la théologie. Et la théologie convient mieux à mon inclination personnelle." Je vous laisse seuls interprètes de cette citation. Tout comme de mes propres vaticinations.
Notons que ça recoupe quelques passages d'Apocalypses, et que mon opinion sur certains de ces sujets s'est affinée : ces textes datent de près de vingt ans, quand même.


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L'apport fondamental du Christ, c'est cette approche positive du rapport entre l'homme et le sacré. Ce rapport ne se définit plus de façon négative, en termes d'interdits précis (tu ne tueras point, tu ne mangeras point sans te laver les mains jusqu'au coude, tu n'enculeras point ta chèvre, etc...) mais en termes plus globaux d'approche active (tu aimeras ton prochain, tu iras au-devant des choses, etc.).
A chaque fois, on est dans une recherche de l'élévation. Mais la première part d'une appréhension négative : "tu dois t'éloigner de ce qui es bas et vil". Chez le Christ, l'élévation est positive : "tu dois t'approcher de ce qui est élevé et beau".
On sort d'une réflexion en creux, passive (tu te contentes de te garder de ces choses et tout va bien) pour aller vers une réflexion en positif, active (tu vas au-devant).
La conséquence, c'est qu'on se retrouve avec une éthique dynamique et simple, face à une morale statique et touffue au point d'en être confuse (la réflexion Talmudique consiste principalement à se sortir des cas imprévus en appliquant la règle prévue en tel cas approchant, et surtout à se sortir des cas limite ou deux règles entrent en conflit quasi insoluble, et ce grâce à des interprétations de haute volée). La démarche du Christ permet de se sortir plus facilement des dilemmes en allant à l'essentiel par la question : "quelle est l'alternative la moins dommageable pour mon prochain ?"

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Le problème de St Paul, c'est qui redonne un coup de barre dans l'autre sens, promulguant à nouveau des listes d'interdits (telle chose est ignoble aux yeux du seigneur, et il est inconcevable qu'un chef de communauté agisse comme ci et comme ça) alors qu'il était parti au départ (controverse avec St Jacques et altercation avec St Pierre) d'une abrogation de l'appareil contraignant de la Torah. Au tout début, il pose des applications de principes qui vont dans le bon sens (pour Paul, il est absurde d'imposer la circoncision et l'observance du shabbat aux convertis non-juifs) puis, l'âge venant, son passé rabbinique reprend le dessus et il se fait plus directif, plus fermé, plus sur la défensive. Ses fondamentaux reprennent leurs droits.

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L'approche législative pré christique peut être considérée comme fermée. Elle implique le repli par rapport aux gens fonctionnant différemment, et l'examen inquisitorial des choses nouvelles et inconnues, pour déterminer si elles peuvent être tolérées ou doivent être interdites au regard des précédents les plus proches.
L'approche nouvelle est ouverte, en ce sens qu'elle ne juge pas de la sorte. La seule question qu'elle pose face à l'étrange ou à la nouveauté, ce n'est pas : est-ce licite, ou moral ? . c'est : est-ce nocif pour mon prochain ? un questionnement qui est beaucoup moins suspicieux, même s'il peut être aussi poussé.

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Un truc, c'est que dans la perspective christique, Dieu est beaucoup moins présent. Il devient presque un idéal à atteindre, il n'est plus le Jupiter tonnant dont la colère peut s'abattre sur celui qui transgresse les interdits (le manque de fréquence de cette colère face à des transgression répétées étant un problème que le monde sémite dans son ensemble mettra plusieurs millénaires à digérer, ce qu'on constate dans les poèmes babyloniens de type "le juste souffrant" et dans le Livre de Job).
Dans l'éthique active du christianisme originel, récompense et punition ne sont pas des paramètres importants (la logique de la damnation et de l'ascension ne vient que plus tard, en filigrane chez Paul et de façon plus claire dans l'Apocalypse, mais n'est formalisée que bien plus tard), l'idée étant de devenir meilleur, et par contrecoup de rendre le monde meilleur par l'exemple, puis par l'évangélisation.
Partant, le rôle de Dieu se réduisant sensiblement, le christianisme aurait pu se rapprocher du bouddhisme. Ce qui l'en a finalement empêché, c'est la notion d'avènement du royaume de Dieu. Si au départ, les ambigüités du texte (Mathieu 24, par exemple, que l'on peut comprendre de diverses manières) laissent planer le doute sur la nature de ce royaume, qui pourrait résulter tout aussi bien d'une conversion massive, la réflexion chrétienne d'après la crucifixion et surtout la chute de Jérusalem fait le choix d'une intervention divine directe, passant par la parousie, au cours de laquelle Dieu établit le royaume sur Terre, développement de la pensée qui trouve son aboutissement entre autres dans l'Apocalypse selon Saint Jean.


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Pourtant, si l'on regarde de plus près le chapitre 24 de l'évangile selon Mathieu, on peut penser l'avènement d'une façon beaucoup moins "deus ex machina". Le Christ explique à ses disciples qui lui posaient la question quels seraient les signes de l'avènement et de la fin du monde. On a droit à une description noire d'une période troublée, principalement par la guerre et ses conséquences. Puis s'ensuivent des persécutions, la montée de faux prophètes, la trahison de certains chrétiens. Puis la disparition de la charité. Mais "celui qui persévèrera jusqu'à la fin sera sauvé". Puis le Christ indique que la fin suivra une période d'évangélisation. Sans préciser le lien de causalité.
Une lecture possible, c'est que face à une période de détresse morale intense, la voie de la charité chrétienne finisse par devenir la seule alternative à la destruction. Et à partir du moment où cette charité est acceptée et appliquée "par toutes les nations", alors le monde tel qu'il existait est fini. Le royaume du Christ s'installe de lui-même.
La suite du chapitre a un ton différent. La description qui y est faite évoque nettement la situation de l'an 70, avec l'arrivée de l'armée de Rome et la destruction du temple, avec "l'abomination de la désolation établie en un lieu saint", les aigles de Rome sur le mont du Temple. Le Christ précise que ce jour arriverait sans avertissement, tel un voleur dans la nuit (ce qui contredit la première partie du chapitre qui suppose une situation pourrissant de plus en plus, sur une certaine période de temps) avec apparition du Messie dans toute sa gloire (le texte français dit Christ et Seigneur, mais rien, hormis une mention au fils de l'homme ne dit que Jésus se référait à lui-même. et encore, cette mention renvoie aux prophéties de Daniel, d'ailleurs cité nommément en tête du passage).
Suivent plusieurs paraboles, s'achevant néanmoins par une description du feu éternel, dans un style vengeur inquiétant.
Je n'ai pas les compétences pour détisser dans une traduction française quel est le texte originel. Toujours est-il que la première partie du chapitre 24 me semble se rapporter à un christianisme actif, et que la seconde partie du chapitre 24 et tout le chapitre 25 me semblent porter la marque de quelque chose de plus tardif, de plus clairement Apocalyptique, avec une référence directe à la situation politique précise de l'an 70, qui vit effectivement la fin du monde Juif tel qu'on le connaissait jusqu'alors. (interprétation appuyée par l'avertissement "cette génération ne passera pas que ces choses ne se produisent").
Le début de Mathieu 24 ne fait référence à aucune intervention directe de Dieu. Il est uniquement dans le rapport des croyants face à une situation et leur façon de la surmonter.
La suite est dans l'attente passive d'une intervention divine et d'un jugement venu d'en haut et contredit à peu près totalement les 14 premiers versets. J'y vois, à titre personnel, la marque d'au moins deux réécritures.

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Et je m'aperçois que je me suis pas mal éloigné de ma démonstration d'origine. Mais c'est pas grave, dans la mesure où l'on est encore dans des choses qui, s'annulant déjà l'une l'autre, ont été complètement anéanties par l'interprétation purement spirituelle que l'église fit de la notion de jugement dernier, quand il devint clair que ce cataclysme prévu dans la foulée d'une génération n'arrivait pas. C'est instructif dans la mesure où ça montre comment le christianisme a fini par s'empêtrer totalement dans des problèmes qui surgissaient à mesure qu'il s'éloignait de son système de pensée d'origine, problèmes dont les solutions l'en éloignaient à chaque fois un peu plus.

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